ÉTIENNE DOLET

Libre penseur pendu puis brûlé par l’Église

3 août 1509 - 3 août 1546

« Celui qui avait défendu l’art typographique contre les moines, contre les encapuchonnés qui voulaient détruire cet art dont ils redoutaient la puissance ». Pierre Leroux


    Qui est Dolet ? Né à Orléans le 3 août 1509, il se montre un homme tout aussi singulier que son illustre compatriote Charles Péguy : indépendants, rudes, d’une susceptibilité ombrageuse, d’un langage souvent véhément et violent, ils sont l’un et l’autre des travailleurs érudits et acharnés. Envoyé à Paris à douze ans pour y étudier les lettres latines, Dolet conçoit un amour extraordinaire pour Cicéron ; il lui doit sa parfaite connaissance de la langue latine la plus pure, son érudition en grammaire, son amour sincères des belles-lettres et certaines de ses conceptions philosophiques.


Un étudiant fougueux

    De 1526 à 1528, Dolet séjourne à Padoue, dont l’Université est célèbre non seulement pour la qualité de ses philosophes et de ses humanistes, mais encore pour son esprit de liberté ; on y rencontre même des panthéistes et des matérialistes. L’évêque Jean de Langeac le prend pour secrétaire et l’emmène à Venise qu’i quitte en avril 1529 pour rentrer en France. À vingt-deux ans, il fréquente l’Université de Toulouse, célèbre pour son école de droit, qui avait hérité du Moyen-Âge une jurisprudence tatillonne et une théologie rétrécie.

Les étudiants de Toulouse foraient des sociétés selon leur appartenance géographique. Dolet, choisi comme orateur le plus éloquent de sa « nation », prononce le 9 octobre 1533 une harangue en latin vive et féroce, qui n’épargne ni le parlement, ni les magistrats de Toulouse. Quelques mois plus tard, il réitère en attaquant la superstition religieuse de Toulousains, qui lui semble « dignes des Turcs», et leur bigoterie qui se concrétise en processions et rites absurdes. Évidemment, ces propos provoquent un tollé général et Dolet est emprisonné trois jours.


« Seule la vertu nous arrache aux ténèbres de la mort »

    Fin mai 1534, malade, enaccé d’une seconde arrestation, Dolet se rend à Lyon auprès de l’un des plus grand imprimeurs du siècle, Sébastien Gryphe, Seconde ville du royaume. D’abord lecteur et correcteur, tâche qu’il partage un temps avec Rabelais, Dolet travaille avec ardeur à ses Commentaires sur la langue latine et à un Dialogue sur l’imitation de Cicéron destiné à pourfendre Erasme. Les Commentaires constituent l’un des premiers lexiques étymologiques pour le latin ; les vocables y sont classés suivant leur signification et accompagnés de nombreux exemples.

    Dans le violent combat qui l’oppose à Erasme, Dolet donne une présentation fine et originale du cicéronisme. Attentif à la dignité de l’homme et à sa liberté, il retrouve un des aspects fondamentaux de l’humanisme cicéronien : il croit à la gloire que confèrent l’activité littéraire et l’éloquence beaucoup plus qu’à l’immortalité. Comme Cicéron, il refuse de philosopher sur le divin, récuse les théologies et affirme la priorité de la croyance personnelle. Ainsi n’est faite nulle place à l’amour de Dieu, qui est pourtant le premier commandement biblique.

Auteur et éditeur

    Le 31 décembre 1536, sans doute en état de légitime défense, Dolet tue accidentellement un peintre. Il prend la fuite et, malgré un hiver rigoureux et les glaçons que charrie l’Allier, il rejoint Orléans par voie d’eau. À paris, le pardon royal lui est accordé sir ‘intervention pressante de Marguerite de Navarre. Avant son départ, un banquet est organiser en son honneur auquel participent toues les lumières de France,entre autres Guillaume Budé , Marot, Rabelais.

    En 1538 il épouse par amour une certaine Louise Giraud dont il a un fils, Claude, en 1539. C’est alors qu»il s’installe à Lyon comme imprimeur, rue Mercière, à l’enseigne de la Doulouère d’Or : la doloire est une hache, en l’occurence tenue par une main sortant d’un nuage au-dessus d’un tronc à moitié fendu  le devise en était, en latin : « je polis et donne avec régularité du fini aux choses raboteuses et grossières».Dans la forte crise qui agita le monde des imprimeurs, marquée par une grève qui dura d’avril 1539 à 1544, c’est à dire pendant toute la période où Dolet fut lui-même imprimeur, il tient une place originale par rapport à ses collègues : c’est un érudit qui a monté son atelier sans suivre le cours d’apprenti puis de compagnon. Son renom lui vaut d’obtenir, faveur rare, un privilège général pour les œuvres qu’il compte publier : il est avant tout un auteur-éditeur ; sur 94 ouvrages qu’il publie, il est l’auteur ou le traducteur de 25 - en six ans - et bien souvent le préfacier des 69 autres. En outre, il s’efforce de participer à l’établissement d’une orthographe et d’une graphie modernes.

Se dégageant peu à peu du moule cicéronien, il écrit en français, en vers, et, plus surprenant, en une prose adroite. Son livre, Les gestes de François de Valois, Roi de France (1540) connaît un réel succès. il édite des textes de Terence, Cicéron, Virgile, des ouvrages techniques de médecine, de chirurgie, de pédagogie, d’érudition, mais également les œuvres de Rabelais, les Psaumes et L’Enfer de Marot, l’Imitation et le Nouveau Testament en langue vulgaire, ce qui était prohibé par la Sorbonne. Sa traduction des lettres de Cicéron connaîtra trente-cinq éditions au cours du siècle.


Les premières suspicions de l’Église

    Mais en quelques années, Dolet est devenu extrêmement suspect pour l’Église. Déjà, dans ses Commentaires, il avait écrit au sujet des miracles que « c’est tout ce qui est de nature à provoquer l’étonnement », ajoutant que « pour les Anciens, c’était des objets repoussant, monstres et choses horribles ».

Il ne tient pas pour certain l’existence de l’âme. Haïssant toute contrainte, vivant tantôt en stoïcien, tantôt en épicurien, il écrit : « Vivre libre, c’est vraiment vivre. » S’abandonner à la nature est la seule sagesse, la seule morale.

Dans sa vaste production, le petit ouvrage Cato Christianus, probablement édité vers 1538, interdit puis brûlé sur le parvis de Notre-Dame de Paris et dont subsistent de rarissimes exemplaires, est le seul qui aborde les questions religieuses avec l’intention d’instruire la jeunesse.N’abordant aucune question essentielle (la foi et les œuvres, les sacrements, l’infirmité de l’homme, la haute puissance de la Grâce, la « vraie pitié » chère à la conception érasmienne, le culte des saints, ou la divinité du Christ),  il se contente de deux invocations à la Vierge qui, dans leur inspiration, n’emportent guère la conviction. Dolet s’y montre ainsi partisan d’une foi pus intérieure, d’un culte épuré, du recours constant aux Écritures. Malgré l’amitié de François 1er, de Jean du Bellay, du cardinal de Tournon, cet opuscule contribue à aggraver son cas. En outre, bien qu’il eût en horreur la doctrine calviniste, il était soupçonné de se livrer à la contrebande d’ouvrages protestants, et, de ce fait, on trouve chez lui l’Institution chrétienne et la Bible de Genève, en langue vulgaire. Enfin, ses livres propres, sont indépendance, son savoir - et sens gains ! - avaient ligué contre lui les imprimeurs lyonnais.


Condamné à mort

    L’inquisiteur Matthieu Orry, un dominicain, n’eut pas de peine à rassembler les indices de l’hérésie de Dolet. Les témoignages des Lyonnais sont accablants : en privé, Dolet se moque de la religion, ne croit ni à l’immortalité de l’âme ni à la providence, mange gras en temps prohibé, préfère se promener plutôt que d’aller à la messe, édite plusieurs libres sans les avoir préalablement communiquer aux Prévôts de Paris et au sénéchal de Lyon, malgré les avertissements qui lui ont été donnés. Jugé le 2 octobre 1542 « impie, scandaleux, schismatique, hérétique, fauteur et défenseur des hérésies et erreurs pernicieuses à la créance chrétienne », il est livré au bras séculier, ce qui signifiait qu’il était condamné à être brûlé : le droit Canon, qui interdisait aux juges toute effusion de sang, était ainsi respecté. Emprisonné à la Rouanne, à Lyon, puis à la Conciergerie à Paris, il est libéré après quinze moi de détention sur l’intervention personnelle du Roi.

trop sûr de cet appui, Dolet commet l’imprudence d’envoyer à Paris des ballots de livrs interdits qu’il avait pris soin de dissimuler dans sa demeure. Le Parlement décide aussitôt de le faire arrêter. Le 6 janvier 1644, alors qu’il célébrait les Rois en famille, il est arrêté. Trois jours plus tard, il parvient à s’enfuir et à gagner le Piémont. Il multiplie les épîtres à l’adresse des hauts personnages qui peuvent l’aider. Il obtient l’autorisation de rentrer en France où il reprend son métier d’imprimeur. Traduisant alors un dialogue de Platon, Axiochus, il en reproduit les termes : « La mort ne peut rien sur toi, car tu n’es pas encore prêt de décéder. Et quand tu seras décédé, elle n’y pourra rien, attendu que tu ne seras plus ! » Mais, afin de rendre le sens plus clair, il ajoute : « rien du tout ». Il n’en faut pas plus à la Sorbonne pour le déclarer d’hérétique.


Le coup de grâce

    De nouveau arrêté, il est mené à Paris où son procès dire deux ans. il ne peut plus compter sur l’aide du Roi qui n’est plus que l’ombre de lui-même, atteint de la vérole qu’il a contractée auprès de la Belle Ferronnière, victime elle-même de la vengeance du mari trompé, l’avocat au Parlement Le Ferron.

La sentence sera rendue le 2 août 1546 et exécutoire le 3 août. Déclaré coupable d’athéisme, de blasphème, de sédition, d’exposition de livres prohibés et damnés, il est conduit jusqu’à la place Maubert et brûlé avec tous ses livres, ayant toutefois obtenu la grâce d’être pendu la veille afin de lui éviter des trop grandes souffrances. Ainsi meurt, pour reprendre les termes d’Alain Decaux, « un franc-tireur d’une rare liberté d’esprit ».


    La pensée de Dolet est difficile à cerner parce qu’il se contredit et surtout parce qu’au XVIe siècle on ne peut exprimer ouvertement des idées antireligieuses sans risquer la prison ou la mort. Sans doute a-t-il cru à un Dieu créateur et ordonnateur, proche du dieu de Platon et de Cicéron. Sans doute, en hérétique de la tradition averroïste que professait l’Université de Padoue et qui enseignait le coexistence d’une double vérité - celle de la philosophie et de la foi - a-t-il pu juger l’âme mortelle suivant la philosophie et croire à l’immortalité de l’âme selon la foi.

Au-delà des débats de pensées, l’attitude de l’homme est cohérente : son combat contre l’oppression, le fanatisme et les préjugés, son amour de la liberté et de la raison, sa foi dans la valeur cathartique du travail et dans la compétence exemplaire le désignent comme un précurseur de la libre Pensée.



Pierre Bertrand, extraits,  

in « Vie et œuvres d’Étienne Dolet » 2002